Mode et Vinyle : Quand les Maisons de Couture Font Tourner les Platines
À chaque Fashion Week, la magie du défilé ne se joue pas seulement sur les podiums et dans les étoffes. Depuis une décennie, les maisons de couture se livrent à une ruée unique sur la scène musicale : la création de vinyles exclusifs, véritables œuvres d’art sonores qui redéfinissent l’expérience du show. Pourquoi adopter ce format intemporel à l’âge du streaming ? Parce qu’il incarne le luxe, l’écoute active, et la quête du son parfait. Plongée dans ce phénomène où le groove rencontre le glamour, chiffres à l’appui.
La renaissance du vinyle dans le monde de la mode
Sur la décennie 2012-2022, les ventes mondiales de vinyles ont bondi de plus de 480 %, passant de 6,1 millions d’unités vendues à près de 34 millions selon la Recording Industry Association of America (RIAA). Cette renaissance ne s’est pas limitée aux mélomanes : les maisons de couture s’en sont emparées, investissant la fabrication de vinyles édités en ultra-limited. Dès 2016, Jacquemus faisait presser ses propres 45 tours pour habiller musicalement ses collections, tandis que la maison Hermès créait, lors de ses défilés automne-hiver 2018, un coffret double LP dont seulement 300 exempaires existaient.
Ce choix relève-t-il du simple snobisme ? Non. Le vinyle est avant tout objet de désir. L’expérience d’un Max Richter ou d’une Lætitia Sadier, mixés en exclusivité, s’écoute différemment quand la galette noire tourne, créant une bulle sonore singulière sur le podium, bien loin des playlists numériques interchangeables. Pour preuve, selon une enquête de Vogue de 2023, 64 % des maisons interrogées affirment que le choix du support doit renforcer la narration artistique du défilé.
Quand les platines dictent le rythme du catwalk
Marc Jacobs, pionnier du son sur vinyle, confiait à The Vinyl Factory : « La musique d’Housse de Racket gravée sur acétate pour le show de 2017 a changé la marche des mannequins, leur démarche devenait presque hypnotique ». Le vinyle offre cette chaleur inimitable — fréquence de 20 Hz à 20 kHz, et plage dynamique allant jusqu’à 70 dB —, idéale pour envelopper physiquement l’espace du défilé. Plus de 40% des shows parisiens de la saison 2022 ont ainsi eu recours à des sets vinyliques, soit une progression de 13 % par rapport à 2019.
Yves Saint Laurent x SebastiAn : mode, son et culte du vinyle
À la croisée de la scène électronique française et de la haute couture, Yves Saint Laurent et le producteur SebastiAn ont façonné une esthétique sonore immédiate : rythmes mécaniques, basses saturées, claps secs et textures synthétiques. Cet univers, proche des ambiances néon et des bornes d’arcade, nourrit l’imaginaire gaming et le goût pour le vinyle comme objet de style.
Sous la direction d’Anthony Vaccarello, SebastiAn signe de nombreuses bandes-son de défilés pour la maison, prolongeant sur scène les codes d’une French electro abrasive héritée d’Ed Banger et de la French Touch. Ce son cinétique—entre EBM, techno et pop sombre—résonne avec l’esthétique pixel, les écrans cathodiques et les héroïnes nocturnes des jeux d’action.
Côté disques, l’artiste ancre cette grammaire dans une discographie culte : Total (2011) puis Thirst (2019) posent une signature faite de contrastes, du sample cutting aux nappes synthétiques, parfaite pour des pressages soignés. Les amateurs de vinyle édition limitée recherchent ces albums et remixes pour leur dimension tactile, la dynamique analogique et les pochettes au design affirmé—un écho direct aux lignes graphiques YSL.
L’alliance YSL–SebastiAn a ainsi imposé une manière de penser la musique comme accessoire visuel : silhouettes noires, lumière rasante, cadence métronomique. Dans les collections comme sur platine, cet ADN connecte la culture club aux salons de la couture, et renforce le lien entre vinyle, mode et inspirations vidéoludiques.
- Influences clés : EBM, techno industrielle, French Touch, new wave, bandes originales 80’s.
- À (ré)écouter en vinyle : Total, Thirst, sélections de remixes et versions instrumentales associées aux shows YSL.
Au-delà des musiques électroniques pointues (notons les choix de la maison Dries Van Noten pour Ketiov ou The Mole, figures respectées de la house européenne), c’est souvent l’expérimental qui a les faveurs du sillon. Anohni, Nina Kraviz ou Pan Daijing, peu diffusés sur les radios commerciales, deviennent les muses de ces créations sonores exclusives. La fascination pour l’objet lui-même compte : la collection de vinyles pressés par Prada lors de sa collaboration avec Richie Hawtin en 2021 s’arrache aujourd’hui entre 200 € et 350 € sur les plateformes de revente spécialisées, malgré un tirage initial de seulement 500 copies.
Le vinyle, un manifeste créatif et collector
À l’heure où le streaming écrase les formats physiques (81 % du marché mondial en 2023), les maisons de couture vont à contre-courant. Créer un vinyle, c’est prendre le temps : du mastering analogique, du choix du pressage, de la conception de la pochette numérotée — chaque détail compte. Les pochettes rivalisent d’audace et deviennent des objets d’art recherchés. On se souvient du set pressé par Loewe pour son défilé homme été 2020 : une œuvre illustrée par l’artiste Galcher Lustwerk, limitée à 250 exemplaires, aujourd’hui introuvable en boutique.
Ce fétichisme va jusqu’au rituel : pose de l’aiguille, craquement du sillon, volume modulé sur une platine vintage — un acte d’écoute lente et choisie. Selon une étude IFPI de 2022, 47 % des 18–34 ans disent préférer le vinyle pour son « expérience d’écoute active et immersive », loin de la simple consommation de fond sonore.
Des collaborations musicales inédites au service de la Haute Couture
Sous l’impulsion de DA ou directeurs musicaux proches du monde du disque, la couture utilise le vinyle comme un laboratoire. En 2019, Maison Margiela invitait le duo français Syracuse à composer une bande originale, pressée à 80 exemplaires sur vinyle transparent. Plus récemment, Marine Serre collaborait avec le label Balmat pour un LP céleste, fusionnant sons d’ambiance et spoken word, offert à 200 VIP — à écouter uniquement sur platine, comme un mot de passe pour initiés.
Le twist ? La bande-son d’un show, ensuite, entre dans le circuit des collectionneurs : Discogs, référence en la matière, répertorie plus de 218 vinyles édités spécialement pour les défilés depuis 2015, dont 67 % ont pris de la valeur en seconde main, parfois multipliée par dix. Cela démontre l’impact culturel et financier de cette mode.
Le vinyle, ultime accessoire de mode ?
Lorsque la mode s’approprie le vinyle, ce n’est pas que pour faire joli : elle enclenche une synergie puissante entre son, image, objet de désir et collection. Le vinyle, par sa matérialité, sa rareté, son esthétique, s’impose comme un nouvel accessoire de luxe, porteur d’un style de vie plus attentif et singulier. Si l’envie vous prend de plonger dans cette expérience, pourquoi ne pas écouter « Music for Nine Post Cards » de Hiroshi Yoshimura en feuilletant un lookbook ? Un disque minimaliste, léger comme un tissu, parfait pour imaginer votre propre défilé intérieur.







