Flexi-discs et sampling : le pari sonore des beatmakers modernes
Dans les coulisses créatives du beatmaking, une tendance aussi vintage qu’audacieuse électrise les platines : le sampling à partir des flexi-discs. Ces disques souples, issus des années 60 à 90, fascinent aujourd’hui une nouvelle génération de producteurs, en quête d’une matière sonore rare, inimitable, et profondément organique. Plus d’un million de flexi-discs auraient été pressés dans le monde, principalement pour des magazines, des fanzines et même des jouets, ouvrant un terrain de chasse inépuisable aux excavateurs de grooves inattendus. Zoom sur ce phénomène pointu où l’amour du vinyle rime avec l’ultra-originalité.
Pourquoi sampler depuis un flexi-disc : la recherche du timbre unique
À l’ère où les banques de sons numériques saturent le web, les beatmakers cherchent la différenciation à tout prix. Le flexi-disc, ce disque en plastique souple souvent offert en supplément dans les magazines (plus de 480 000 exemplaires insérés rien que dans les éditions britanniques de feu Smash Hits entre 1978 et 1982), offre des artefacts sonores impossibles à répliquer numériquement. Bruit de surface, instabilité de vitesse, coupures abruptes : ces « défauts » sont autant de qualités artistiques qui séduisent. Ainsi, le producteur danois Aske Skat l’affirme : « 90% des textures que j’importe dans mes tracks proviennent de flexis soviétiques. Les gammes et crescendo distordus sont irrésistibles. » D’ailleurs, chez certains labels russes entre 1964 et 1970, on estime que 65% des sorties pop grand public n’étaient proposées qu’en flexi-disc.
L’effet de surprise joue également un rôle clé. Vu leur présence dans des contextes parfois très éloignés de la musique – éducation, publicité, messages politiques – les flexis regorgent de contenus extravagants, de riffs inédits, de boucles vocales inimaginables sur des LP classiques. Sampler sur flexi, c’est intégrer une part d’histoire matérielle tout droit sortie des bacs obscurs de la collection.
Les explorateurs sonores : artistes et labels cultes du flexi-sampling
Loin des projecteurs, certains beatmakers se spécialisent dans la chasse aux flexi-discs. Alexander Nut, patron du label Eglo Records, parle de véritables sessions de « digging portable » lors de ses voyages au Japon – où l’on trouve jusqu’à 350 modèles de flexi réalisés pour des mangas entre 1976 et 1990. Le producteur néerlandais Kid Sublime a quant à lui composé tout un EP, « Flexible Funk Vol.1 », uniquement à partir de flexi-discs chinés sur les marchés d’Amsterdam, dont certains n’existaient plus qu’à moins de 100 exemplaires répertoriés sur Discogs.
En France, le beatmaker L’Orange cite son amour pour les flexis éducatifs de la collection « La voix de son maître », épuisée dès 1974 mais qui circule encore entre initiés. Plus pointu, l’artiste Fkclub réutilise des flexis publicitaires (on estime leur production française à plus de 25 000 titres entre 1958 et 1980), intégrant des jingles d’époque ou des percussions d’entreprise dans ses tracks électro hypnotiques.
Difficultés techniques et plaisir du geste : l’expérience vinyle décuplée
L’usage du flexi-disc n’est pas sans défis : sur ces galettes souples, la distorsion atteint parfois 3 à 4 % (contre 1,5 % en moyenne sur un 45 tours classique). Bien que leur durée ne dépasse que rarement 7 minutes (la plupart culminent à 2 ou 3 minutes, selon la Guinness Book des records du disque), leur fragilité nécessite une écoute active et méticuleuse. Manipuler un flexi sans jamais l’abîmer est un art en soi, qui renforce le lien quasi charnel entre le producteur et l’objet.
Le rituel du choix du flexi à sampler, le passage sur une platine (souvent avec un poids ajusté), la digitalisation en direct, puis le travail de découpe et d’arrangement : tout cela renforce l’authenticité du processus créatif. Côté collection, ces disques sont souvent plus rares que nombre d’obscurs LP, avec des tirages limités inférieurs à 1 000 exemplaires pour une majorité des flexis produits avant 1980. Autrement dit, un flexi samplé fait entrer dans une boucle musicale un fragment quasi introuvable ailleurs – à la fois pour l’oreille et pour l’objet de collection.
L’étoffe d’un mythe sonore : des samples cultes nés sur flexi-disc
Certaines perles samplées sur flexi sont devenues synonymes de créativité sonore. On raconte que le producteur vénézuélien Arca s’est procuré un acapella d’enfant, extrait d’un flexi de propagande, pour un beat désormais viral sur les réseaux sociaux underground. Le duo allemand Retrogott & Hulk Hodn, quant à lui, cite une rythmique de flexi allemand de 1967 dans sa track « Karate Fieber », sample extradit parmi à peine 500 copies en circulation selon le site Flexidiscography.com.
L’usage du flexi, loin d’être un simple gimmick, devient donc une signature artistique, modulant la matière première du hip-hop, de l’électro ou du rock expérimental. À l’heure où 50 % des diggers de vinyles seraient aussi collectionneurs de flexi-discs, selon une récente étude de VinylHub, on comprend combien ce format inspire la jeune scène du sample.
Le flexi-disc, potion magique pour beatmaker en quête de rareté
Derrière chaque flexi chassé, écouté, puis samplé se cache la promesse d’un voyage musical dans l’histoire oubliée du vinyle. Plus que jamais, la quête de singularité sonore pousse les beatmakers à rejouer ce format improbable, sauvant de l’oubli des sons invisibles dans les bases de données numériques. Si l’envie vous prend d’explorer cette galaxie sonore, pourquoi ne pas commencer par le mythique flexi japonais « L’Enfant et le Dragon » sorti à 300 exemplaires en 1984 ? Un trésor pour tout amateur de groove insolite, à écouter sans modération – en redécouvrant la magie vivante du vinyle, objet et rituel à part entière.







