Pressages pirates de Radiohead : trésors vinyles ou supercherie sonore ?
Les vinyles pirates de Radiohead déchaînent les passions depuis les années 90, alimentant les débats entre puristes et collectionneurs. Alors que certains pressages atteignent des sommets lors des enchères, frôlant parfois les 500 €, d’autres s’interrogent sur la réelle valeur de ces disques non officiels : coup marketing génial ou arnaque à la qualité sonore ? Plongée dans l’univers opaque, fascinant et controversé des pressages pirates de l’un des groupes les plus iconoclastes de notre temps.
Un marché parallèle dopé par la rareté et la passion
L’histoire des pressages pirates chez Radiohead s’inscrit dès les balbutiements du groupe, avec l’essor du vinyle dans la culture underground. Dès 1994, alors que la sortie d’OK Computer n’est encore qu’un rêve pour de nombreux fans, des bootlegs live commencent à circuler à Londres ou Berlin, souvent disponibles en quantités confidentielles : parfois moins de 300 exemplaires ! Selon l’estimation du site Discogs, Radiohead cumule aujourd’hui plus de 80 bootlegs vinyle recensés, contre une moyenne de 30 à 40 pour des groupes “cultes” comme Portishead ou Spiritualized, loin des chiffres mainstream de groupes tels que Nirvana ou The Beatles, qui dépassent le millier.
Ce sont souvent des concerts mythiques — le show de 1997 à Glastonbury ou des sessions radio inédites — qui alimentent cette production sauvage. Pour les “diggers” et collectionneurs, ces objets sont de véritables Saint Graal, avec des prix qui flambent : un exemplaire de Pablo Honey Live (pressage italien non autorisé) s’est vendu à 430€ en 2020 sur eBay. Mais derrière l’excitation, se cache l’éternelle question de l’authenticité et de la qualité sonore.
Qualité sonore : entre souvenirs live bruts et supercheries
Le nerf de la guerre, c’est bien sûr le son. Contrairement à des éditions pirates soignées de groupes comme Massive Attack ou Godspeed You! Black Emperor, certaines copies de Radiohead flirtent avec l’acceptable. Plusieurs pressages pirates de The Bends ou Kid A sont ainsi extraits directement de fichiers MP3 ou de cassettes d’époque, avec une dynamique compressée, des saturations, ou des coupures abruptes. En 2023, une étude partagée sur le forum Vinyl Collective montrait qu’environ 52% des bootlegs Radiohead testés présentaient des défauts majeurs : souffle, mixage déséquilibré, ou même des pistes fantômes absentes du tracklisting.
Pourtant, les puristes ne jurent que par la magie analogique propre à certains de ces pressages, réalisés artisanalement. Certains exemplaires, à l’instar du fameux “Oxford Groove” pressé en Europe de l’Est, restituent la chaleur d’un live façon Velvet Underground ou des improvisations de Can ou d’Archive. La galette devient alors un témoin tactile et sonore d’un instant unique, impossible à retrouver dans la discographie officielle, à l’exception des coffrets rarissimes (comptez 1200€ sur Discogs pour le coffret complet “OKNOTOK”).
L’attrait de l’objet : pochette, mythologie et culture du secret
Au-delà du son, l’objet vinyle pirate cultive le fétichisme : pochettes sérigraphiées à la main, inserts secrets, tracklists mystérieuses… On est loin des standards aseptisés. Certaines éditions pirates de Radiohead optent pour des détournements visuels : citations de Stanley Donwood réinterprétées, montages DIY, voire des collages à la façon des disques d’Harold Budd ou Silver Apples. Cet aspect artisanal séduit une nouvelle génération de collectionneurs — la tranche 18-30 ans étant la plus friande, selon une étude RPM de 2022, représentant plus de 60% des acheteurs de bootlegs Radiohead sur le marché européen.
L’aspect “chasse au trésor” n’est jamais loin, rappelant la quête des pressages obscurs de groupes comme Deerhunter ou Moon Duo. Certains pirates, identifiables uniquement par leur code-barres absent ou leur vinyle coloré translucide, sont l’objet de rumeurs et d’échanges secrets sur des forums spécialisés. L’objet devient ainsi plus qu’un disque : un morceau d’histoire parallèle et personnelle, une porte d’entrée dans la mythologie moderne de Radiohead.
Entre geste collector et risque assumé
Posséder un vinyle pirate de Radiohead, c’est aussi revendiquer une écoute active, faite de surprises, d’imperfections et de moments suspendus. C’est accepter le risque : la “fausse perle” existe, comme ce bootleg pressé en Italie dont la piste B s’arrêtait net au bout de 2 minutes ! Pourtant, l’expérience d’écoute, casque sur les oreilles ou platine vintage allumée, n’a rien d’anodin. Les souvenirs d’époque ressurgissent, la pochette vieillit entre les mains, et chaque craquement raconte aussi l’histoire du fan clandestin qui l’a possédé avant vous.
Derrière la question “objet de culte ou arnaque sonore ?”, le vinyle pirate interroge notre rapport à la musique : sommes-nous à la recherche de la perfection technique, ou du frisson d’une écoute unique, instantanée et imparfaite ? Radiohead, groupe lui-même en perpétuelle réinvention, ne pouvait rêver meilleure postérité officieuse !
Pour prolonger la magie du vinyle, pourquoi ne pas explorer l’excellent Endtroducing… de DJ Shadow, chef-d’œuvre du sample devenu à son tour objet culte pour de nombreux diggers ? L’aventure sonore est partout, à condition d’oser la quête !







