Les NFT vinyles : gadget numérique ou nouvelle frontière du collector ?

Les NFT vinyles : révolution du collector musical ou simple gadget ?

Imaginez acquérir un vinyle rare de Floating Points ou de Jorja Smith, accompagné d’un certificat numérique infalsifiable, lié à une œuvre d’art exclusive ou à un accès backstage virtuel : c’est le pari osé des NFT vinyles. À l’heure où les ventes mondiales de disques vinyles ont dépassé les 180 millions d’unités en 2023, la fusion entre innovation blockchain et tradition analogique questionne autant qu’elle fascine les collectionneurs et passionnés. Gadget éphémère ou véritable nouvelle frontière de la collection ? Plongée dans un phénomène entre hype numérique et retour aux fondamentaux musicaux.

L’essor fulgurant du vinyle et l’arrivée des NFT dans la musique

Depuis 15 ans, le vinyle reprend ses droits, affichant une croissance record qui a atteint +8,7% en 2023 selon la RIAA. Rien qu’en France, près de 6 millions de galettes ont trouvé preneur l’an dernier, soit une hausse de 12% par rapport à 2022, alors même que le streaming règne en maître sur l’écoute musicale. Ce retour des belles pochettes et du plaisir d’une écoute active réhabilite la valeur de l’objet et du rituel sonore.
Mais à l’ombre de cette renaissance, la technologie blockchain s’invite dans le game : en 2021, le marché des NFT (non fungible token) a explosé avec un volume de ventes de 25 milliards de dollars tous secteurs confondus selon DappRadar, et la musique n’a pas tardé à suivre. Des artistes comme Jacques Greene ou Le Motel ont proposé des éditions NFT-allouées à certains de leurs vinyles, suscitant engouement et interrogations.

Vinyle + NFT : comment ça marche ?

Le concept de « NFT vinyle » se décline en plusieurs formules. La plus courante : chaque exemplaire physique d’un disque est jumelé à un NFT, un actif numérique unique gravé dans la blockchain, garantissant authenticité et rareté. Sur ce terrain, le label japonais Dream Catalogue a innové dès 2022 en lançant une série ultra-limitée où chaque vinyle était associé à une cover digitale conçue par un artiste, visible uniquement par le détenteur du NFT.
Outre l’authentification, certains NFT permettent d’accéder à des bonus exclusifs : titres inédits, vidéos de sessions studio, voire droits de vote pour un futur pressage. Un exemple marquant : le label Diggers Factory a collaboré avec le producteur electro Molécule pour une édition limitée à 333 exemplaires physiques, chacun associé à un NFT validant son unicité et offrant au passage des stems audio à réutiliser, mêlant ainsi passion tactile et création collaborative.

Fantasme spéculatif ou richesse pour le collectionneur ?

Les chiffres témoignent d’une spéculation encore timide mais bien réelle : selon le rapport Music Ally, en 2023, 180 000 NFT musicaux ont été vendus, pour une valeur moyenne de 185 euros l’unité, ce qui reste marginal comparé aux 1,4 milliard d’exemplaires vinyles échangés sur le second marché (Discogs) cette même année. Pourtant l’intérêt se confirme.
Les NFT pourraient répondre à une angoisse bien connue des collectionneurs : les faux, les éditions pirates ou le traçage complexe des éditions. En associant un certificat blockchain à un disque signé (pensez à la récente opération avec le duo allemand Grandbrothers), chaque exemplaire devient inviolable et sa traçabilité éternelle.
Mais cet engouement numérique ne fait-il pas grimper artificiellement les prix tout en déshumanisant l’expérience ? Pour certains, l’essence du vinyle reste son grain, le plaisir de sortir la pochette cartonnée, de replacer soigneusement le disque sur l’étagère, et non de surfer sur un marché de tokens fluctuant. Pour d’autres, le NFT s’additionne plutôt qu’il ne se substitue, apportant une dimension de collection 2.0 et d’investissement sur le long terme (les éditions NFT de l’album ‘Chromas’ de Roosevelt ont pris 80% de valeur en trois mois sur le marché secondaire en 2024).

Réconcilier expérience tactile et innovation numérique

Les critiques soulignent souvent la volatilité des marchés NFT et l’impact écologique de la blockchain, mais la tendance semble irrésistible : 54% des jeunes collectionneurs de vinyles interrogés par Vinyl Factory jugent « très probable » qu’ils investissent dans des disques NFTés, notamment pour leur caractère inédit ou l’accès à du contenu exclusif.
Certains artistes, moins médiatisés mais proactifs, y voient un outil pour fédérer leur communauté. Le trompettiste Yazz Ahmed, par exemple, a lancé une série de 100 vinyles numériques, ouvrant l’accès à des live streams privés depuis son home studio.
À l’inverse, pour la bassiste Laura Lee des Khruangbin, « le contact charnel avec la galette noire, ses imperfections, son odeur de carton neuf, ne sera jamais numérisable. » L’équilibre viendra donc sans doute du dialogue entre ces deux univers : gravure physique pour le son organique, certificat blockchain pour la rareté et de nouvelles formes de lien entre artiste et fan.

Le NFT vinyle, gadget ou nouvelle frontière ? L’avenir s’écrira sûrement entre les sillons et les lignes de code. En attendant, si le sujet vous fascine, plongez-vous dans l’écoute attentive de « Grazing Dreams » de Barre Phillips, un vinyle à l’aura inégalée – irremplaçable, qu’aucun NFT ne saura remplacer – ou envolez-vous vers les expériences hybrides, les deux oreilles grandes ouvertes.