Comment les vinyles des années 2000 sont devenus des collector sans le vouloir

Pourquoi les vinyles des années 2000 sont devenus des collectors inattendus

Lorsque l’on évoque le vinyle, les mots « collector » et « rareté » font immédiatement vibrer le cœur des mélomanes. Mais qui aurait parié que des disques édités au début des années 2000 exploseraient aujourd’hui les enchères, atteignant parfois des centaines d’euros sur Discogs ou eBay ? Ce phénomène fascine autant qu’il intrigue, tant l’époque semblait marquée par le CD, le MP3 et un désamour presque total pour l’objet vinyle. Plongeons dans ce virage unique de l’histoire musicale, où le support analogique a acquis sans le vouloir ses premières véritables pièces d’exception du 21e siècle.

Un marché du vinyle moribond au début des années 2000

Difficile à imaginer aujourd’hui, mais au tournant du millénaire, le vinyle est bel et bien au bord de l’extinction. En France, on recense en 2006 moins de 150 000 vinyles vendus sur l’ensemble de l’année, contre 56 millions de CD. Conséquence logique : seules quelques maisons de disques osent encore presser des galettes pour les artistes du moment. Les tirages sont donc microscopiques, souvent limités à quelques centaines d’exemplaires au mieux, et réservés à des initiés – DJ, clubs et fans hardcore de certains genres indépendants comme le post-rock, l’électro ou la nouvelle vague folk.

Des artistes confidentiels, des pressages ultra-limités

C’est ainsi que des groupes aujourd’hui cultes, mais alors inconnus du grand public, voient leurs créations en vinyle se transformer en trésors convoités. Prenez The Notwist, formation allemande incontournable de la scène indie-electro : leur album Neon Golden, sorti en 2002 sur le label City Slang, n’a été pressé qu’à 500 exemplaires à l’époque. Ce disque atteint régulièrement 200 à 250€ sur le marché de la seconde main. Même dynamique pour Broadcast et leur album Haha Sound (Warp Records, 2003) : à peine 1 000 exemplaires d’origine, et des cotes qui frôlent désormais les 150€.

Citons aussi la mythique scène post-hardcore : les premiers albums de Envy (A Dead Sinking Story), Mono (Walking Cloud and Deep Red Sky) ou MewithoutYou dépassent très rapidement les 100€. Du côté français, Wax Tailor ou Le Peuple de l’Herbe ont connu un destin similaire, leurs rares vinyles ayant été quasiment offerts aux fans à la sortie… et pourtant introuvables quinze ans plus tard !

L’attrait de la pochette et du son analogique

Ce qui rend si attachant le vinyle des années 2000, c’est aussi l’attention portée à l’objet en lui-même. La pochette grand format, parfois imprimée à la main ou en risographie, offre un impact visuel et tactile sans équivalent. Chez le label berlinois Morr Music, chaque disque était accompagné de stickers, booklet et artwork originaux, faisant du support une pièce d’art à part entière. Ce soin de la présentation n’a pas échappé aux nouveaux collectionneurs — l’aspect rare et artisanal des pressages accentue leur désirabilité.

Le plaisir sonore n’est pas en reste : même en pleine explosion du tout-numérique, le grain du vinyle, son rendu chaleureux, séduit une génération qui se lasse du son compressé des MP3. L’écoute active, le rituel du sillon, contribuent à l’aura unique de ces objets — doublement précieux parce qu’ils marquent une renaissance du « beau geste musical » à contre-courant des habitudes de consommation ultra-rapides.

Des chiffres qui donnent le vertige

Le marché du vinyle global a connu une croissance exponentielle : en 2023, plus de 40 millions d’albums vinyle ont été vendus rien qu’aux États-Unis, selon la RIAA – soit 21 fois plus qu’en 2006 ! Pourtant, ce sont souvent les « fantômes » des années 2000, réalisés à la marge, qui trustent les places les plus hautes sur les plateformes de collection. Sur Discogs, près de 30% des pressages les plus chers de la décennie 2000 concernent des disques initialement tirés à moins de 1000 exemplaires, généralement restés dans l’ombre de leur époque.

Le groupe Godspeed You! Black Emperor est un parfait exemple : leur triple LP Yanqui U.X.O., sorti en 2002 à moins de 1500 exemplaires pour son premier pressage, dépasse allègrement les 200€ d’occasion aujourd’hui. Autre cas marquant : l’album Since I Left You de The Avalanches (2000), édité en quantités réduites et dont le pressage original s’arrache alors qu’une réédition récente existe, preuve de la valeur sentimentale et collectionnable des originales.

Une réelle redécouverte culturelle

La hype autour du vinyle ne se limite plus aux éditions ultra-luxe des décennies passées ou aux mastodontes du rock. Les amoureux de belles découvertes se tournent désormais vers la période 2000-2010, dénichant des pépites imprévues de la scène scandinave (Sodastream, Kings of Convenience), du folk alternatif anglais (Tunng, The Memory Band), ou de l’électro underground (Telefon Tel Aviv, Ulrich Schnauss) — à des prix qui montent parfois à plus de 150€ pour des exemplaires en parfait état.

Loin de la hype des majors, c’est bien l’histoire de la contre-culture et de la fidélité passionnée qui s’écrit, chaque disque devenant la mémoire intime d’une transition musicale, où le physique révélait encore l’âme d’un projet.

En collectionnant ces vinyles des années 2000, on touche du doigt ce moment fragile où la musique a failli perdre son corps et gagner son éternité. Pour (re)découvrir ce patrimoine, laissez-vous tenter par l’écoute de l’indispensable Chimpanzee That du duo danois Efterklang, —l’occasion rêvée de vivre l’expérience vinyle, où son, objet et histoire ne font qu’un.