Le vinyle, star de l’art contemporain : renaissance d’un objet culte
Au fil de la dernière décennie, le vinyle s’est hissé bien au-delà de ses sillons musicaux, devenant un objet d’art prisé, convoité autant par les amateurs de belles galettes que par les passionnés de créations visuelles. De 4,7 millions de disques vinyles vendus en France en 2023 à des collaborations inédites entre musiciens et artistes contemporains, cette résurgence participe véritablement à un mouvement d’art contemporain vibrant et inattendu. Mais comment cette simple galette noire a-t-elle conquis les collectionneurs d’art et les galeries ? Exploration enthousiaste d’un médium aussi sonore que visuel, au croisement de la musique, de la création et de la culture.
La pochette de vinyle, un format mythique pour les artistes contemporains
Depuis les années 1940 et l’apparition du disque 33 tours, le format 31 x 31 cm de la pochette de vinyle est devenu un support de création sans équivalent. Si les œuvres d’Andy Warhol pour The Velvet Underground ou Talking Heads sont légendaires, ce sont pourtant des artistes moins mainstream comme Barbara Kruger ou Peter Saville (Factory Records) qui ont fait exploser la créativité des covers. Selon une étude menée par Art Vinyl, plus de 60% des collectionneurs considèrent la pochette comme une motivation d’achat aussi forte que la musique. En 2022, la Revue d’Art Contemporain a même consacré une exposition entière à la pochette de vinyle, soulignant son statut de “toile moderne”.
Aujourd’hui, le phénomène se poursuit : l’artiste Sophie Calle a signé la pochette du disque « Retrospective » de Jean-Benoît Dunckel, et le label Blue Note n’hésite plus à s’associer à des grapheurs ou plasticiens pour des éditions limitées. Chaque disque devient alors une double expérience sensorielle : à la fois auditive et visuelle, incitant à une écoute active et une contemplation.
Le vinyle en galerie : de la platine au mur d’exposition
La présence du vinyle dans les galeries d’art n’est plus une anecdote. Dès 2014, le Musée de la Musique à Paris lançait l’exposition “Vinyles, de la poche à l’œuvre”, mettant en lumière plus de 800 pochettes signées par des créateurs contemporains. Les galeries londoniennes et berlinoises rivalisent aujourd’hui de créativité en organisant des “vinyl art fairs” dédiées à ce format, où les éditions limitées se négocient jusqu’à 25 000€ pour des pièces uniques, comme une série de vinyles sérigraphiés par l’artiste allemand Wolfgang Tillmans pour le label Ostgut Ton.
Le marché international du vinyle d’art représentait environ 35 millions d’euros en 2023, avec une croissance annuelle à deux chiffres depuis 2018 d’après Artprice. À Paris ou Bruxelles, on expose aujourd’hui autant des œuvres sur toile que des “art vinyls”, notamment ceux édités par les labels expérimentaux tels que Shelter Press ou PAN qui collaborent régulièrement avec des artistes émergents.
Écoute active et rituel d’exception : l’objet-vinyle au centre du quotidien
Redonner aux gestes de l’écoute leur sens sacré : voilà l’un des secrets du vinyle devenu objet d’art. Alors que 73% des possesseurs de vinyles affirment écouter la musique sur ces supports pour “prendre leur temps” (étude IFOP 2023), le rituel de la pose du diamant sur la face A prend une dimension contemplative. Ce ralentissement contraste avec la frénésie du streaming, et participe du retour à une expérience immersive : l’auditeur manipule l’objet, scrute la pochette, découvre parfois un livret d’artiste ou une sérigraphie à l’intérieur.
De jeunes musiciens, à l’image de l’iconoclaste Pan Daijing (éditée en vinyle d’art signé chez PAN), pensent leurs œuvres d’abord pour ce format, intégrant la pochette et le support comme partie intégrante de leur démarche artistique. Le vinyle devient ainsi autant une « œuvre totale » qu’un artefact de collection, mêlant le son, le visuel et l’objet en lui-même.
Un support d’expérimentation pour les artistes sonores
En marge des circuits commerciaux, de nombreux artistes contemporains utilisent le vinyle non seulement comme objet visuel, mais aussi comme support d’expérimentation sonore. Les “vinyles peints” de Christian Marclay, où la matière picturale est déposée directement sur la surface du disque, modifient la lecture sonore en créant loops et glitches imprévisibles. La musicienne suisse Félicia Atkinson, cofondatrice du label Shelter Press, réalise des pressages limités accompagnés de livrets ou de pièces graphiques, donnant naissance à des œuvres hybrides où le son se lit aussi sur le papier.
En 2022, la FIAC a consacré un espace entier aux “vinyles sculptures” de l’artiste conceptuel Leyla Cardenas. De tels projets poussent le vinyle au-delà de ses usages traditionnels, révélant de nouvelles dimensions de l’art contemporain où l’objet s’écoute, se manipule et se contemple.
Du sillon à la galerie, le vinyle n’a pas dit son dernier mot
La révolution vinyle continue de dépasser les frontières musicales et séduit une nouvelle génération de collectionneurs fascinés par les croisements entre sons, images et objets. De la collection à la contemplation, chaque vinyle devient une ode à l’art vivant, amplifiant le plaisir de l’écoute active et le frisson de la découverte visuelle. Pour vivre cette alchimie, plongez, par exemple, dans l’univers énigmatique de Pan Daijing et son album « Tissues » : une expérience artistique complète au cœur du nouveau contemporain.







