Quand Aphex Twin cachait des vinyles dans des magasins sans prévenir

Quand Aphex Twin déjouait les règles en cachant des vinyles surprises

Imaginez entrer dans votre disquaire préféré et, entre deux bacs à vinyles, tomber sur une galette inconnue, non référencée, contenant des sons inédits d’Aphex Twin. C’est ce que des heureux collectionneurs ont vécu au fil des années 2010, lorsque Richard D. James, figure énigmatique et génie de l’IDM, a dissimulé ses propres maxis dans des magasins, sans aucune promotion préalable. Ce jeu de piste fiévreux a marqué le monde des diggers et relancé l’amour du vinyle comme support de découvertes inattendues et d’aventures musicales uniques.

La chasse aux vinyles fantômes : une pratique mythique

Tout commence discrètement en 2017 : quelques exemplaires d’un mystérieux disque intitulé “3 Gerald Remix” sont découverts dans des boutiques indépendantes à Londres et New York. Pressés à seulement 100 copies dans le monde — un tirage minuscule comparé aux 250 000 albums vinyle vendus cette même année au Royaume-Uni —, ces maxis ne portent aucune marque officielle d’Aphex Twin, mais laissent planer le doute par leur esthétique sonore. Certains exemplaires sont retrouvés chez Phonica Records ou Bleep, d’autres jusqu’à Los Angeles et Tokyo, propulsant la rumeur autour d’un « Easter egg » musical signé Richard D. James.

Le phénomène n’est pas isolé : Aphex Twin a renouvelé l’expérience avec le mythique Cheetah EP, où il a laissé traîner des copies blanches dans de petits shops d’occasion. Ces opérations sauvages s’inspirent de l’esprit DIY de labels comme Rephlex ou Warp, célébrant la liberté du support vinyle.

Un hommage à l’expérience physique du vinyle

Pourquoi ce mode de diffusion clandestin fascine-t-il autant ? Parce qu’il sublime tout ce que le vinyle incarne : l’objet rare, la pochette intrigante, l’acte actif de fouiller, d’écouter, de s’interroger. Découvrir un vinyle inconnu d’Aphex Twin, c’est renouer avec l’âge d’or du diggin’, là où même Autechre ou Boards of Canada semaient des indices cryptiques sur leurs sorties. L’émotion monte lors de la première écoute : aiguës crépitantes, basses profondes, textures rugueuses — ce que le numérique lisse, le vinyle le révèle.

On estime que moins de 1% des passionnés présents dans ces shops ont eu la chance de dénicher ces artefacts (soit à peine une dizaine d’auditeurs privilégiés par magasin). Ces statistiques créent une rareté presque absolue — à l’opposé des 6 millions de vinyles produits en France en 2020, selon le SNEP.

L’héritage de l’underground et de la collection

Ce geste d’Aphex Twin perpétue une tradition héritée de labels confidentiels : Ninja Tune, Hyperdub ou encore Planet Mu ont souvent pratiqué le “test press” camouflé, parfois réservé à leurs artistes ou collaborateurs. Pour les collectionneurs, posséder un disque non catalogué, introuvable sur Discogs, est un Graal absolu. En avril 2022, une copie du “3 Gerald Remix” s’est échangée à plus de 2 800 € sur eBay, soit plus de 90 fois le prix d’achat moyen d’un vinyle neuf (estimé à 31 € par le Centre National de la Musique la même année).

Le vinyle, par essence, invite à la contemplation : tenue en mains, inspection du sillon, lecture attentive du moindre crédit. Pour Aphex Twin, cet art de la dissimulation invite à la patience, à la curiosité, offrant une expérience que le téléchargement ne pourra jamais reproduire.

Un amour du secret partagé par d’autres créateurs

Si l’IDM a fait de l’anonymat une esthétique, d’autres artistes s’en inspirent. Actress, sur son label Werkdiscs, a lui aussi publié des disques sans tracklist, laissés anonymes dans des boutiques berlinoises, tandis que la techno de Skee Mask ou la house de Patrice Scott se parent souvent d’éditions ultra-limitées. Le phénomène s’étend — même en jazz avec le label International Anthem qui presse parfois des éditions inconnues le Record Store Day, réservées à une poignée de diggers invétérés.

Chaque communauté musicale cultive ainsi ses énigmes — où la possession d’un vinyle caché rapproche l’auditeur de la démarche intime de l’artiste. Cette complicité nourrit la passion et l’attachement à l’objet, jusqu’à transformer la chasse au disque en expérience artistique totale.

Déjouant les lois du marché et de la promotion, Aphex Twin a, par ses vinyles cachés, réenchanté la magie du support analogique, lui offrant une dimension presque mythologique, à la croisée du jeu, de l’art, de la filiation underground et de la collection. Si vous cherchez d’autres trésors, plongez dans le sublime “Innerzone Orchestra – Programmed”, une perle deep techno encore disponible sur www.limited-vinyl.fr, à savourer absolument sur platine, seule dans la nuit, pour retrouver ce frisson inimitable de la découverte vinyle.