Les 33 tours en format 10″ : entre rareté et frustration

Les 33 tours 10 pouces : trésors rares et frustrations des collectionneurs

Le format 10″ en 33 tours fascine autant qu’il agace : entre pépites pour amateurs pointus et casse-têtes pour discophiles, il s’impose comme l’un des secrets les mieux gardés du monde vinyle. Surnommé souvent « le parent oublié » du vinyle, le 10″ oscille entre rareté historique et choix éditorial mystérieux, offrant une expérience sonore et visuelle singulière, taillée sur mesure pour les curieux. Alors, pourquoi ces galettes intermédiaires titillent-elles autant la fibre mélomane ? Plongeons au cœur de cet objet aussi charmant qu’agaçant, qui fait vibrer les platines comme les passions.

Le format 10 pouces : un entre-deux historique

Apparu à la fin des années 1940, le 10″ 33 tours a d’abord été le format roi pour le jazz, le blues ou la chanson, quand le microsillon s’impose face à la laque fragile du 78 tours. À une époque où le 12″ n’a pas encore tout raflé, ce format compact — 25 cm de diamètre exactement — offre entre 15 et 25 minutes de musique par face. C’est par exemple sur ce format que les premiers albums de Chet Baker ou Thelonious Monk voient le jour chez Blue Note, Prestige et Pacific Jazz dès 1952. Les labels français, du Chant du Monde à Odéon, embrayent eux aussi, pressant du Boris Vian ou des premiers Brassens sur 10″. Pourtant, dès 1956, la déferlante 12″ relègue le petit 33 tours au rang de curiosité, surtout en Europe : seulement 6 à 8 % des vinyles sortent alors en 10 pouces durant cette décennie.

Entre éditions rares et frustration du collectionneur

La rareté du 10″ fait tout son pouvoir d’attraction aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui traquent ces éditions limitées, souvent pressées à moins de 2 000 ou 3 000 exemplaires, comme l’impressionnant « Freedom Suite » de Sonny Rollins en 1958 chez Riverside ou le tout premier album de Léo Ferré en 1954 — encore introuvable en état correct à moins de 100 €. Mais cette rareté rime souvent avec frustration : impossible de compléter des discographies uniformes, ou de ranger ces « demi-grandes » galettes sans juron dans des meubles standards. Nombre d’amateurs rapportent leur déconvenue face au manque de compatibilité entre pochettes et étagères IKEA, ou, pire, des platines qui ne reconnaissent pas toujours le format, créant un effet de « skipping » sur certains modèles automatiques.

L’objet vinyle : une expérience sensorielle amplifiée

Le 10″ n’est pas qu’un objet frustrant, loin s’en faut. Sa taille intermédiaire garantit souvent une densité de groove supérieure, permettant des masters de très haute qualité sonore : écouter « Summertime » par Miles Davis And Horns sur 10″, c’est savourer des détails que le pressage CD n’approche même pas. La pochette, réduite mais plus grande que celle du single 7″, offre un terrain d’expression graphique magnifique. L’édition ultra limitée de « Hope » par Silvain Vanot, spécialisée pour le Disquaire Day 2017, montre combien ce format est prisé par les labels pour leurs collectors, souvent numérotés, signés, accompagnés d’artworks spéciaux. Collectionneur.rice.s et artistes savent que le 10″ jouit d’un supplément d’âme, d’un rapport d’échelle qui incite à une écoute attentive, vinyle entre les mains et yeux plongés dans la pochette, loin du flux dématérialisé.

Un format qui renait sur la scène indépendante

Depuis 15 ans, le 10″ connaît une seconde vie grâce aux labels indépendants : du math rock de Battles chez Warp avec « Tonto+ » (tiré à 1 500 exemplaires), à l’exploration ambient de Roedelius sur Bureau B, les musiciens aiment son côté hybride et intimiste, parfait pour des mini-albums ou des pistes inédites. En 2023, sur Discogs, la base recense plus de 310 000 références en 10 pouces — soit à peine 4,8 % de la base totale vinyle ! Mais ce faible pourcentage suffit à alimenter une véritable chasse au trésor : 73 % des acheteurs de 10″ sur le site déclarent aussi les exposer dans leur salon, signe que l’objet compte autant que la musique gravée. Certains collectionneurs traquent les raretés dans des bacs obscurs et font monter les prix : un pressage japonais du « Best of Hiroshi Suzuki » s’est échangé pour près de 470 € en 2022 !

Conclusion : un format à explorer, entre nostalgie et modernité

Le 33 tours en 10 pouces oscille entre charme vintage, quête du son originel et plaisir tactile de l’objet. Moins courant mais plus attachant, il alimente toujours la passion des diggers et des audiophiles qui aiment sortir des sentiers battus. La frustration inhérente au format ne fait que renforcer le frisson de la découverte. Pour ceux qui voudraient s’y plonger, pourquoi ne pas écouter aujourd’hui « Noir et blanc », de Bernard Lavilliers (1979, Barclay, jamais réédité en 12″), un 10″ indémodable qui donne vie à toute la magie de ce format singulier ? Bonne écoute… et bonnes fouilles !