Le mythe du « premier pressage » : comment les différencier vraiment

Premier pressage vinyle : Comment reconnaître le Graal des collectionneurs ?

Le monde du vinyle passionne : 6 millions de galettes noires vendues en France en 2023, contre à peine 900 000 dix ans plus tôt. Face à cet engouement, la notion de « premier pressage » est devenue un vrai mythe chez les collectionneurs et amateurs éclairés. Mais comment savoir si l’on tient vraiment une première édition entre les mains ? Graver l’histoire musicale dans le sillon, c’est aussi comprendre les indices révélés par ces objets d’exception, loin des simples rééditions. Pour tous ceux qui aiment le grain chaud du son ou le parfum du carton vieilli, voici comment démêler le vrai du faux sur la piste des mythiques premiers pressages.

Premier pressage : une obsession, plusieurs réalités

Derrière le terme « premier pressage », se cache une réalité complexe : il ne désigne pas seulement la « toute première » copie, mais parfois une quantité importante, pouvant aller de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers, selon le succès anticipé. Par exemple, sur « L’école du micro d’argent » d’IAM (1997), il n’existe que 2 000 exemplaires pressés initialement, alors que l’album « La question » de Françoise Hardy (1971) a vu près de 80 000 premières copies sortir des usines Pathé-Marconi !

Certains artistes, comme le pionnier electro Bernard Szajner, comptent moins de 1 000 premiers pressages pour « Visions of Dune » (1979), ce qui en fait un des plus rares du genre. À l’inverse, The Alan Parsons Project a vu jusqu’à 50 000 exemplaires initiaux pour certains de ses albums. L’exclusivité d’un premier pressage varie donc fortement, d’autant plus qu’au fil des décennies, rééditions, repressages et remasterisations brouillent le jeu.

Les indices physiques : matrice, pochette et détails révélateurs

Pour distinguer un premier pressage, il faut scruter le disque, la pochette et même l’étiquette. Le code matriciel gravé dans la cire, autour de l’étiquette, dévoile souvent l’histoire. Sur un premier pressage, ce code — appelé “dead wax” — comporte généralement le numéro de catalogue exact, parfois suivi d’une lettre comme « A1 ». Un changement de lettre ou un ajout indique souvent un repressage. Par exemple, les vinyles originaux de « Rock Bottom » de Robert Wyatt (1974), portent « V2017 A-1U » en toute première série, alors que les autres possèdent des matrices plus longues ou différentes.

La pochette est aussi riche d’informations : le carton épais, l’impression mate ou brillante, la présence ou non de l’adresse du label, ou même la couleur de l’étiquette centrale peuvent suffire à faire la différence. Par exemple, le premier pressage français du « Magma » de MAGMA (1970) arbore le logo Philips et une pochette ouvrante très solide — les rééditions, plus frêles et à l’impression différente, trahissent leur jeunesse. Autre astuce : les photos ou textes de crédits peuvent changer entre le tout premier tirage et les suivants.

Son, émotion et objet : pourquoi chasser le premier pressage ?

Posséder un premier pressage, c’est s’offrir un petit morceau d’histoire. Souvent, le son en ressort plus authentique, moins compressé : la chaleur analogique voulue par l’ingénieur du son d’origine, comme lors du mythique « Messe Pour Le Temps Présent » de Pierre Henry & Michel Colombier (1967). Ce disque, pressé à seulement 5 000 exemplaires d’entrée, possède un son unique grâce à une gravure minutieuse, aujourd’hui considérée référence.

L’objet fascine aussi : la patine du vinyle, l’odeur particulière du carton, les inserts parfois disparus dans les rééditions. La collection devient alors une manière de voyager dans le temps, de manière active et sensorielle. D’ailleurs, 64 % des amateurs avouent écouter la face A d’affilée, pour profiter de cet enchaînement d’origine pensé par les artistes — une expérience différemment vécue sur les rééditions, parfois remixées ou « raccourcies ».

Au-delà du son, la pochette attire les regards : en 30×30 cm, elle devient une œuvre d’art à part entière. Certains premiers pressages incluent des livrets ou inserts qui ont disparu dès les copies suivantes, comme les lithographies insérées dans « L’Affiche Rouge » de Léo Ferré (1972) — portées disparues dans la plupart des exemplaires postérieurs.

Astuces de connaisseur et pièges à éviter

Le marché du vinyle regorge de rééditions habilement maquillées. Pour être sûr de son coup, il faut vérifier plusieurs éléments : année d’édition au dos, code-barres (absents avant 1982 en France), poids du vinyle (généralement entre 120 et 140g pour les originaux 60’s et 70’s, contre 180g pour de nombreuses ressorties récentes). Attention aussi à Discogs : 15 % des fiches contiennent au moins une erreur sur le pressage ! Croiser les infos sur plusieurs sites (Discogs, Popsike, Vinylogs…) reste la meilleure option.

L’observation attentive des inserts, des typos, ou même des publicités d’époque (souvent glissées dans la pochette) peut apporter des preuves cruciales. L’anecdote de ce collectionneur ayant trouvé en brocante un « L’inconnu » de Brigitte Fontaine (1973), avec la facture originale du disquaire Parisien, démontre à quel point les détails racontent une histoire bien plus riche qu’une simple copie numérique…

La quête du premier pressage, c’est toute la magie du vinyle : l’émotion, le son originel, l’objet chargé de souvenirs. Décrypter ces indices, c’est renouer avec l’histoire des œuvres et prolonger leur vie. Pourquoi ne pas écouter ce soir « Cilvilization » d’Antoine Tomé (premier pressage de 1982, seulement 400 exemplaires), pour vibrer à l’unisson avec la légende du sillon ?